J’ai une fontaine qui bavarde jour et nuit – qu’on l’écoute ou qu’on ne l’écoute pas, elle chantonne, murmure, soupire, fait des bulles, halète en sourdine, s’esclaffe bruyamment – et je la soupçonne de jouer du ukulélé, parce que certaines notes de musique caractéristiques restent suspendues en l’air à mon approche.
C’est une fontaine délicieuse, mais qui a son petit caractère. Quand je l’ai connue elle faisait la timide, on aurait dit une tourterelle. Je venais la voir de temps en temps, pour boire un coup, tremper mes pieds jusqu’à ce que les orteils se fripent, parfois ramasser des mûres ou des escargots.
Son eau est claire, bien fraîche, et quand elle gazouillait… ça me chatouillait.
Petit à petit j’ai pris l’habitude de passer souvent.
Un beau jour elle m’a dit : « Mmm… je te suggère de remettre tes chaussures si tu veux aller par là, il y a des orties. »
J’ai cru que quelqu’un était caché dans les buissons et essayait timidement de faire ma connaissance. Mais c’était elle, ma fontaine, et je n’en suis toujours pas revenue.
Quand je vais la voir, c’est tranquille et sans chichis. Je croque un brin de cresson, asticote les têtards, puis je m’assoupis sur sa margelle, elle me fredonne une chanson… On s’entend bien : elle me repose, je la distrais.
Et elle s’est enhardie ; il y a peu, je l’ai surprise en plein discours, enflammé et pompeux. J’ai applaudi, elle s’est vexée. Mais ça ne dure pas ; chez elle le bavardage l’emporte sur tout. On pourrait croire qu’il n’a ni queue, ni tête, mais ce serait mal la connaître.
Depuis deux ans qu’on se pratique, j’ai voulu prendre des notes un millier de fois. Elle râle, s’emporte. Le beau carnet que j’avais apporté pour immortaliser ses envolées a fini trempé et plein de vase ; je n’insiste pas.
D’ailleurs la plupart du temps j’oublie ses bavardages, même les plus profonds, dès que je m’éloigne d’elle.
C’est étrange toutefois, la nuit je crois par moments l’entendre à nouveau chuinter à mon oreille.
Entre deux sommeils flottent alors quelques visions étranges, des silhouettes, des propos légers, des bouts d’histoires.
Aussi j’ai compris ce qu’il me reste à faire.