Il était une fois une princesse molle.
Elle avait trop de tout : rien ne l’intéressait. Trois châteaux, cinquante armoires remplies d’habits et de colifichets, des montagnes de jouets colorés, une fête foraine à sa disposition, et six poneys au cas où l’envie la prendrait de faire une balade.
Mais l’envie… C’était bien ça le problème.
Molle elle était, molle elle restait. Ses seules activités lui étaient dictées par d’autres.
« Une princesse doit assister aux cérémonies. Une princesse doit paraître belle et froide. Une princesse doit ouvrir le bal. »
Le roi et la reine, à qui rien n’échappait, se rendaient bien compte que leur fille ne brillait pas par la vivacité. Mais comme ils avaient d’autres chats à fouetter, et qu’elle était docile et vraiment discrète, cela ne les préoccupait point.
Un beau jour, sa gouvernante vint chercher la princesse pour la pomponner. Une couturière, un coiffeur et le chambellan chargé du protocole prirent tout en main pour qu’elle assure une prestation digne de son rang. Une fois vêtue de pied en cap, on posa la princesse dans un coin de la salle du trône, où elle attendit silencieusement qu’on accueillît l’ambassadeur du royaume voisin.
L’un des dignitaires était sans doute sale, ou alors sa perruque avait mal voyagé.
Toujours est-il qu’un pou – un pou! – profita de l’occasion pour voir du pays et sauta sur la princesse. Celle-ci ne réalisa pas tout de suite qu’elle était l’hôtesse d’un être minuscule. Elle pensa qu’un surcroît de laque commençait à la gratter, mais tint consciencieusement son rôle de poupée immobile.
Le soir venu, cependant, son oreiller se mit à lui parler…
Le pou, qui s’appelait Guillaume, lui demanda son nom.
La princesse, mollement étonnée, murmura « Hélise » et tendit la main pour qu’il y grimpe.
– Mademoiselle, je suis enchanté de faire votre connaissance. Vous avez une chevelure moelleuse, et l’air accueillant. Je crois que nous allons bien nous entendre.
La princesse se mit à rire, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des lustres.
Elle était molle, mais pas timide, et bientôt une indéfectible amitié se noua entre les deux êtres les plus disparates que l’on pût imaginer.
Guillaume s’installa à demeure derrière l’oreille d’Hélise, et lui qui était fort gai et d’un tempérament inventif se mit à lui souffler quelques initiatives, de plus en plus délurées.
A tel point qu’en l’espace de quelques jours, plus personne à la cour ne reconnaissait la princesse.
– Comment !? Une enfant si sage ! On l’entendait à peine! Et la voilà qui dévale les escaliers, écoute aux portes, ricane bêtement… Et dès qu’on lui en fait la remarque, semble murmurer dans une langue étrangère et lève les yeux au ciel!
Est-elle donc frappée de folie, ou visitée par le Diable ?
La rumeur courut si bien qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le roi et la reine convoquèrent leur fille.
– Mon enfant… que vous arrive-t-il ? Seriez-vous possédée ?
La princesse n’était plus la même.
Accompagnée de son petit pou, elle se sentait des courages insoupçonnés, des espoirs encore vagues mais carabinés, et jusqu’à des envies d’évasion.
A dire le vrai elle en avait marre. Marre de ces châteaux, marre de son rôle, marre d’être bientôt bonne à marier. Marre de sa vie de molle.
Et pour la première fois de sa vie, elle ne répondit pas « oui père » ou « non mère » à la question posée.
Elle ne répondit pas du tout, semblant plutôt écouter.
Puis dans un grand envol de jupes empesées, tourna les talons et sortit.
Ses parents s’inquiétèrent. On ne pouvait plus la montrer, ses propos et ses gestes devenaient imprévisibles et généralement inconvenants.
On tenta de la raisonner. On la prit par le coude et lui chuchota des menaces, on lui promit la lune, on la punit sévèrement.
Rien n’y fit.
La princesse était ferme, et même amusée.
En tête à tête avec son pou, elle rêvait d’aventures et finit par s’échapper en sautant dans les douves, un sachet noué autour des oreilles et un couteau de cuisine glissé dans son pantalon.
Des années après, on apprit l’existence d’une jeune pirate écumant toutes les mers du royaume.
Sur son terrible étendard, un pou flottait invinciblement.
NB : L’illustration est signée Lisa Del Mercato, l’étendard au pou Gérard Ollivier.